Que signifie le mot « victime » ? Kfé Psy du 14 avril

Ceux qui ne pourraient pas venir le vendredi 14 avril à 18h au Barachois (pour un débat de 18h30 à 19h30) peuvent néanmoins laisser leur avis ici sur Ronkozé, dans les commentaires et leur position sera discutée durant le débat…

Que signifie le mot « victime » ?

Ce mot est aisément compris. Nous savons tous qu’il désigne une personne qui subit au plan corporel et/ou mental, les conséquences néfastes d’un événement ou d’un acte pas forcément volontaire. Une personne peut elle-même se percevoir comme « victime » lorsqu’il lui semble avoir subi de tels dommages. C’est peu de dire qu’actuellement il s’en trouve de plus en plus.

La chose pourrait sembler anodine mais elle ne l’est pas. Tout au long de l’Histoire et même de la préhistoire, le monde a constamment tourné autour d’un axe : celui des victimes. Ainsi, à l’aube de l’Histoire européenne le roi Ménélas n’a-t-il pas été « victime » de l’enlèvement de sa femme Hélène et, en recherchant le soutien de son frère Agamemnon, ne lui-a-t-il pas donné une occasion rêvée de faire la guerre à Troie ? Les étasuniens n’ont-ils pas combattu deux décennies en Afghanistan au nom des victimes du 9/11 ?

Entre ces deux époques, le sens des mots a changé mais pas la violence qui s’y rattache. Les êtres qui, depuis l’aube de l’humanité, ont été sacrifiés sur un autel en vue d’une réconciliation avec les dieux et entre les hommes étaient ceux que les Romains appelaient des victimes (victima). L’usage était donc extrêmement restreint : animaux ou humains, les victimes étaient toutes des morts silencieux alors que maintenant il s’est généralisé avec des victimes bien vivantes et bruyantes. Les victimes sont partout, peu importe où on porte l’oreille, il s’en trouve toujours pour se plaindre de mille formes de violence, le plus souvent à bon droit, mais le problème est que tout le monde accuse tout le monde ou presque et qu’il y a donc là mille occasions d’aller non vers la paix que procuraient les anciennes victimes, mais vers un affrontement non pas seulement inter-individuel ou intra-familial mais inter-communautaire, national ou même international.

Bref, il y a urgence à questionner la notion de victime au plus profond, afin d’en dégager pleinement les tenants et les aboutissants car, à défaut, nous pourrions être facilement manipulés, submergés par un sentiment victimaire et ainsi amenés à consentir bon gré mal gré à l’autodestruction, lente ou soudaine, de notre civilisation ou même de l’humanité.

Le Kfé Psy s’est bien tenu, le débat a été riche, trop sans doute pour tenter de le restituer dans son intégralité. Dans mon prochain commentaire, je ne ferai que résumer ce que j’en ai personnellement retenu, cad, les vues auxquelles je suis parvenu grâce aux échanges que nous avons eu.

Pour le moment je vais me contenter joindre ci-dessous un commentaire adressé au forum des babéliens où j’explique la réflexion que m’a inspiré leurs recherches sur la différence entre « victima » et « hostia » qui sont quasi interchangeables dans les écrits latins de l’Antiquité romaine. Je suis tombé dessus en cherchant une définition de victime et, surtout, son étymologie et, franchement, ce que j’ai découvert est renversant. Enfin, à mes yeux, à vous de juger ! Voici mon commentaire :

" J’ai lu avec jubilation ce fil de réflexion qui m’a grandement éclairé et je souhaiterais y apporter une petite et très conjecturelle contribution de non spécialiste.

Il me semblerait assez naturel de résumer la dichotomie qui se dessine entre victima et hostia en la disposant sur le quadriparti ciel, dieux, terre, hommes. Il y a là un invariant anthropologique qui a été inventé dans et par le sacrifice (cf. les thèses de René Girard) et à partir duquel est née la distinction que faisaient les Grecs entre le corps mort (soma) qui reste sur Terre et l’esprit ou l’âme (psyché) qui monte aux cieux.

Dans ce contexte, on en vient vite à se demander si la victima ne serait pas au corps (qui ressortit à l’humain) ce que l’hostia serait à l’esprit ou l’âme (qui ressortit au divin) ?

Un argument pour aller dans ce sens me semble venir de l’étymologie car dans la profusion de termes bâtis sur le radical vic, on trouve les victuailles qui renvoient à la consommation, qu’on doit imaginer d’abord rituelle puis sécularisée, du corps des victimes.

Un autre argument serait de noter qu’à l’opposé, la communion chrétienne ne fait plus de « victimes » puisqu’elle ne se fait plus que par l’hostie alors qu’à l’origine des agapes avaient lieu avant la messe proprement dite au cours desquelles on partageait charitablement (agapé) des victuailles. Ce temps du corps a disparu du rituel qui est devenu alors intégralement spirituel puisque centré sur une représentation purement symbolique de corps du sacrifié, l’hostie.

Ce qui donne le vertige c’est de penser que le terme immolation renvoie directement à ce avec quoi on fait l’hostie : la farine. Ce passage est particulièrement troublant :

« Se fondant sur un passage de Festus (s.v. immolatio ), le dictionnaire de Daremberg et al. soutient que c’est au moment où, après avoir aspergé la victime de vin puis de farine, le sacrifiant passe légèrement son couteau de la tête à la queue de la victime que celle-ci devient sacra , c’est-à-dire propriété exclusive de la divinité. »

On y retrouve en effet la farine et le vin ensemble, ajoutés à la victima afin que puisse s’opérer le passage vers le sacré, et donc à l’hostia. Tout se passe comme si la religion chrétienne avait charitablement renoncé à sacrifier une victima pour ne garder que les « opérateurs » du sacré, c’est-à-dire, une immolation seulement symbolique en cela qu’elle n’a plus besoin du couteau et conserve seulement le vin et la farine (le pain). On peut ici imaginer soit une pure mais troublante coïncidence, soit penser que cette évolution a pu se faire sous l’influence des textes bibliques évoquant le roi Melchisédek (Genèse 14:18) qui, du temps d’Abram, sacrifiait avec le pain et le vin."

http://projetbabel.org/forum/posting.php?mode=quote&p=243635

La vidéo filmée entre chiens et loups se trouve sur le site de Colcov Med974 grâce aux bons soins de Dominique qui l’a produite et Philippe qui l’a mise en ligne. Qu’ils en soient vivement remerciés !